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Cette étude de documents s'inscrit dans la partie du programme de Seconde intitulée " Carte de la Méditerranée au XIIe siècle : le carrefour de trois civilisations. " Les documents choisis ici illustrent les relations entre deux des civilisations inscrites au programme (civilisation de la chrétienté occidentale, civilisation musulmane) et la civilisation juive, sur deux espaces : l'Espagne et la Terre-Sainte. La civilisation Byzantine apparaît aussi ici mais de manière plus furtive.
Les relations entre les civilisations méditerranéennes au XIIe siècle
Sujet : quelles sont les relations entre les civilisations méditerranéennes chrétienne occidentale, musulmane et juive ?
Questions :
1) Présenter les documents.
2) Sélectionnez, classez et confrontez les informations.
3) Rédigez une synthèse d'une page environ.
Document 1 : le Jihad
Le Coran, la tradition et l’unanimité des docteurs de la Loi, tous sont d’accord que le jihad est un devoir collectif, et qu’il devient un devoir personnel dans certains cas, comme à l’heure actuelle où les troupes [des croisés] attaquent à l’improviste le territoire musulman. La lutte contre ces troupes revient obligatoirement à tous les musulmans qui en sont capables. Appliquez-vous à remplir le précepte de la guerre sainte ! Prêtez-vous assistance les uns aux autres afin de protéger votre religion et vos frères ! Saisissez cette occasion d’effectuer chez l’infidèle cette incursion qui n’exige pas un effort trop grand et qu’Allah vous a préparée.
Al Sulami, Traité de la guerre sainte, début du XIIe siècle.
Document 2
Je citerai comme une attitude remarquable celle d’un Franc d’Antioche. J’avais envoyé là, pour quelque affaire, l’un de mes compagnons qui descendit sur mon conseil, chez Theodoros Sophianos. Celui-ci, qui avait pleine autorité dans la ville, était lié avec moi d’une réelle amitié. Il pria son compagnon de se rendre avec lui à l’invitation d’une de ses vieilles connaissances, un chevalier franc de la vieille génération, de ceux qui avaient participé aux premières batailles. Il était maintenant rayé des rôles et retiré à Antioche, dans une propriété dont il vivait. Il nous présenta, me dit mon compagnon, une table superbe, avec des mets aussi fins, nets et propres qu’on pouvait le rêver. J’hésitais un peu malgré tout, mais notre hôte me rassura : il ne mangeait plus de nourriture franque, depuis longtemps. Il avait des cuisinières égyptiennes, sur lesquelles il se reposait tout à fait, et la viande de porc n’entrait jamais sous son toit.
Ces Francs qui m’ont accompagné, de près ou de loin, de quel œil dois-je les regarder, aujourd’hui que la mort approche ? Dieu nous les a envoyé, c’est sûr, pour nous mettre à l’épreuve, pour nous rappeler nous péchés, et d’abord le pire : nos dissensions. C’est en profitant d’elles que les Francs ont réussi à venir chez nous. Et à y rester. Je me suis demandé, dans les débuts, s’ils allaient vraiment ressembler à nous, avec le temps. J’ai pu croire, à travers certains d’entre eux, au miracle : sinon qu’ils embrassent notre foi, du moins que, restés chrétiens, il apprennent en masse, notre langue et partagent, comme les chrétiens de chez nous, une même vie avec leurs frères musulmans. Mais les Francs, dans leur ensemble, n’ont voulu ni l’un ni l’autre.
Miquel, Ousâma, un prince syrien face aux croisés, Arthème Fayard, Paris, 1986.
Document 3 : privilèges accordés par Alphonse le Batailleur, roi d’Aragon, aux musulmans de Tudela après la prise de la ville en 1119.
Le roi d’Aragon a autorisé les musulmans à rester dans les maisons qu’ils ont à l’intérieur de la ville pendant un an ; l’année écoulée, ils devront s’en aller dans les faubourgs avec leurs meubles, leurs femmes et leurs enfants. La mosquée principale restera en leurs mains jusqu’à leur départ. Celui qui voudra quitter Tudela pour aller soit en terre musulmane, soit ailleurs, qu’il soit libre d’aller en sécurité. Les musulmans conserveront leurs lois. Si un chrétien suspecte un musulman de vol ou de fornication, qu’il ne prenne contre lui que les témoignages de bons musulmans, et non celui d’un chrétien. On ne convoquera pas de force un musulman à la guerre, ni contre les musulmans, ni contre les chrétiens. Aucun chrétien n’entrera de force dans la maison ni dans le jardin d’un musulman. On ne laissera entrer dans Tudela que cinq marchands chrétiens. Le bétail des musulmans, avec les gardiens, ira en sécurité sur la terre du roi. Personne ne les empêchera d’avoir des armes.
Document 4 : miniature extraite du Livre des jeux d’Alphonse X, roi de Castille, XIIIe siècle. (Bibliothèque de l’Escorial, Madrid).
Document 5
De Gérone, il y a trois journées à Narbonne. (…) On y voit des sages et des princes très célèbres à la tête desquels se trouve rabbi Kalonymos, fils du grand prince rabbi Théodore d’heureuse mémoire, qui est nommé dans sa généalogie parmi ceux qui sont de la postérité de David : il a plusieurs terres et possessions qui lui ont été données par les seigneurs du pays et que personne ne peut lui ravir par la force. Parmi ces principaux on peut encore compter rabbi Abraham, chef du conseil, rabbi Machir, rabbi Juda et plusieurs autres, qui forment un grand nombre de sages disciples. Il y a aujourd’hui trois cent juifs à Narbonne.
De là à Béziers il y a quatre parasanges(1). Il y a ici une assemblée de disciples des sages qui ont à leur tête rabbi Salomon Chalpata et rabbi Joseph, fils de rabbi Nathanaël d’heureuse mémoire. De là il y a deux journées à Montpellier, lieu fort agréable pour le commerce, situé à deux parasanges de la mer. (…) On y vient d’Al-Erva [al-Garb, le Maroc ?], de Lombardie, du royaume de Rome la grande, de toute la terre d’Égypte, du pays d’Israël, de la Grèce,de France, d’Espagne, d’Angleterre et de toutes les langues et nations qui se trouvent aux environs de Gène et de Pise (…).
Benjamin(2) fils de Jona de Tudela, Voyages.
(1) Parasange : équivalant d’un mille. (2) Benjamin de Tudela est un marchand juif, originaire de Tudela en Navarre où le roi d’Aragon Alphonse le Batailleur (1104-1134) avait accueilli beaucoup de juifs.
Les relations entre les civilisations méditerranéennes chrétienne, musulmane et juive au XIIe siècle
Doc. |
Date (et contexte) |
Lieu |
Nature |
Auteur |
Destinataire |
Thème |
Analyse des relations |
1 |
début XIIe (soit peu après le début de la première croisade franque et la prise de Jérusalem). |
Terre Sainte ? |
Traité (ouvrage didactique) |
Al Sulami, un musulman |
Tous les musulmans |
Appel à la guerre sainte (Djihad). |
Relation conflictuelle entre francs et musulmans : En réponse à la première croisade, les musulmans appellent à la guerre sainte |
2 |
milieu XIIe-début XIIIe (l’auteur est contemporain d’un croisé âgé ayant participé à la première croisade soit vers 1100) |
Terre-Sainte (Antioche est une ville d’un des états latins) |
Mémoires (l’auteur parle au passé alors que la mort l’approche) |
Ousâma, un prince musulman de Syrie |
Des musulmans |
Récit d’un repas d’un musulman chez un franc ; réflexion sur les francs. |
L’acculturation reste une exception entre les francs et les arabes. (Un franc qui a adopté le mode de vie des arabes est montré comme une exception). Au contraire bonne entente entre byzantins, arabes chrétiens et arabes musulmans (Ousâma a pour ami un grec : Theodoros Sophianos, et parle des arabes chrétiens comme de ses frères). |
3 |
1119 (après la prise de la ville par le roi d’Aragon. Épisode de la Reconquista). |
Espagne (Tudela en Navarre) |
Texte législatif (privilèges) |
Le roi d’Aragon Alphonse le Batailleur |
Musulmans et chrétiens de Tudela |
Droits accordés aux musulmans de Tudela |
Conflit politique entre royaumes chrétiens et musulmans (prise de la ville) mais grande tolérance du roi vis à vis des musulmans. |
4 |
XIIIe |
Espagne (le ms. est conservé à Madrid. Il provient peut-être de Tolède alors capitale de la Castille). |
Miniature (petit tableau décorant un livre) |
Un chrétien anonyme |
Le roi de Castille Alphonse X (seuls les plus riches possédaient des livres enluminés). |
Partie d’échecs sous une tente arabe entre un chrétien (Alphonse de Castille ?) et un musulman. |
Acculturation (le miniaturiste chrétien a écrit une phrase en arabe sur le chapiteau ; le chrétien joue d’un jeu transmis par les arabes) Deux interprétations : jeu = amitié ou rivalité ? |
5 |
Après 1119 (l’auteur est d’une famille juive installée à Tudela après la prise de la ville). |
Espagne (Tudela, Navarre où Alphonse le Batailleur avait fait venir beaucoup de juifs). Languedoc |
Récit de voyage destiné sans doute à servir d’itinéraire ou de guide |
Benjamin de Tudela, un marchand juif originaire de Tudela |
Juifs de Tudela ou d’Espagne |
Les communautés juives du Languedoc |
Juifs tolérés et nombreux en Occident (Languedoc et Espagne du Nord) Échanges commerciaux : Montpellier commerce avec toute la Méditerranée : pays musulmans (Maroc, Égypte), Empire Byzantin (Grèce), États latins (Israël), Occident (France, Espagne, Italie, Angleterre). |
Synthèse
Les documents illustrent deux types de relations qui chacune domine dans les deux espaces étudiés.
En Espagne et en Languedoc les relations pacifiques dominent. Même si des conflits politiques existent entre musulmans et chrétiens, la tolérance religieuse et culturelle est réelle. Des musulmans, des chrétiens et des juifs cohabitent dans des villes (dans des quartiers séparés cependant) comme Tudela. Des marchands de tous les pays fréquentent les ports comme Montpellier. L'acculturation entre les différentes civilisations est importante.
En Terre Sainte la confrontation domine entre chrétiens d'Occident et musulmans. A la croisade chrétienne répond le jihad musulman. Même s'ils cohabitent parfois, musulmans et chrétiens ont des modes de vie très différents qui s'ignorent.
On notera enfin que les orthodoxes (Byzantins, arabes chrétiens) et les Juifs entretiennent de bonnes relations avec les autres civilisations. Les conflits concernent surtout les relations entre les musulmans et les chrétiens d'Occident.
Document rédigé par Gauthier LANGLOIS